Une récente étude sur « l'écart de TVA » au sein des pays de l'Union Européenne, publiée par la Commission Européenne le 21 Septembre 2018[1], met en exergue la différence entre les recettes de TVA attendues et celles effectivement perçues. Il ressort de cette étude, un écart de 147 milliards d'euros au niveau de l'Union Européenne dont 20 milliards pour la France représentant 12% des recettes annuelles de l'Etat français.

Afin d'endiguer ces pertes, les autorités fiscales européennes décident progressivement de mettre en place des mesures de contrôle en amont des transactions soumises à TVA pour lutter plus efficacement contre la fraude.

En matière de facturation cela se traduit, soit par la validation préalable des factures par les administrations fiscales et ce, avant toute transmission des factures aux clients (processus de « Clearance »), impliquant alors un recours obligatoire à la facture électronique, soit par la déclaration des données de facturation auprès des administrations fiscales (émission d'un rapport). Ces deux types de mesures peuvent parfois coexister comme c'est le cas en Italie.

[1] Study and Reports on the VAT Gap in the EU-28 Member States: 2018 Final Report - TAXUD/2015/CC/131

Emergence d'un nouveau mode d'émission des factures en Italie :
 la « Clearance »

A l'instar des pays d'Amérique Latine, depuis le 1er janvier 2019 l'Italie rend obligatoire le recours à la facture électronique selon le mode de « Clearance » pour les factures domestiques (émetteur italien vers un récepteur italien).

Les factures doivent être générées électroniquement selon un format spécifique « FatturaPA » (Fichier XML signé) puis transmises à l'administration fiscale italienne à des fins de validation préalable à l'envoi aux clients. Cette validation s'opère au travers de la plateforme SDI « Sistema di Interscambio" de l'administration italienne.

Ainsi, le traitement des factures en mode Clearance inclus les étapes suivantes :

  1.  Le fournisseur transmet dans un format spécifique la facture à l'administration fiscale.

  2.  L'administration fiscale procède à la vérification de la facture tant au niveau du contenu qu'au niveau du format. Le résultat de la demande de validation est retourné au fournisseur. Soit la facture est validée par l'administration fiscale (elle est dite « clearée »), soit elle est rejetée pour non-conformité et un message d'erreur est transmis au fournisseur.

  3. Une fois la validation obtenue de l'administration fiscale, la facture est soit transmise par le fournisseur au client, soit mise à disposition du client sur le portail de l'administration fiscale.

Le mode « Clearance » reste au niveau de l'Union Européenne un mode dérogatoire, l'Italie ayant obtenue une autorisation spécifique de la Commission Européenne pour recourir à ce mode, légitimé par le montant élevé de la fraude à la TVA en Italie.

En effet, il convient de rappeler que la Directive Européenne du 13 juillet 2010[2]  laisse à chaque assujetti une liberté de choix quant à la transmission des factures et ce dans la mesure où « l'authenticité de l'origine, l'intégrité du contenu et la lisibilité d'une facture, que celle-ci se présente sur papier ou sous forme électronique, sont assurées à compter du moment de son émission et jusqu'à la fin de sa période de conservation » (Article 233, paragraphe 1, premier alinéa de la Directive Européenne susvisée).

Toutefois, on constate un attrait des pays européens pour la « Clearance » qui pourrait devenir la règle en Europe. En effet, la Grèce a annoncé au début de l'année 2019 sa volonté de rendre obligatoire le recours à la facture électronique pour les flux B2B.  Ainsi, même si à ce jour aucune législation n'a encore été publiée, d'ici janvier 2020 de nouvelles règles rendraient obligatoire la facturation en Grèce par le biais d'une connexion des entreprises au système électronique des autorités fiscales grecques. 

[2] Directive Européenne (2010/45/CE) modifiant la directive 2006/112/CE relative au système commun de la TVA en ce qui concerne les règles de facturation

Déclaration des données de facturation au travers de
 rapports transmis en temps réel

L'autre moyen de lutter contre la fraude à la TVA qui se développe de plus en plus dans l'Union Européenne est celui consistant à déclarer auprès de l'administration fiscale les données de facturation. Un rapport au format électronique est transmis de manière périodique (mensuellement, trimestriellement, semestriellement) ou en temps réel (« Real Time Report »). Les autorités fiscales récupèrent ainsi les données de facturation.

Un des premiers pays en Europe à avoir adopté ce système déclaratif est le Portugal. Les assujettis (établis / domiciliés au Portugal et effectuant des opérations soumises à la TVA au Portugal) doivent communiquer en temps réel ou sur une base mensuelle certains éléments des factures aux autorités fiscales locales. La communication en temps réel s'opère au travers d'un service Web; la communication mensuelle s'effectue par téléchargement d'un fichier respectant la norme "SAF-T"

D'autres pays ont suivi le Portugal dans cette démarche :

  • La Hongrie, depuis le 1er juillet 2018, impose aux assujettis à la TVA l'envoi des données de facturation en temps réel à l'administration fiscale. Cette obligation s'applique aux transactions domestiques dont le montant de TVA est de 100 000 HUF minimum (environ 320 €).
  • En Espagne, les assujettis à la TVA doivent communiquer les données de facturation à l'administration fiscale via la plateforme « Suministro Inmediato de Informacion » (SII) dans les quatre à huit jours ouvrables après l'émission de la facture.
  • L'Italie prévoit une nouvelle obligation de déclaration pour les factures transfrontalières ne transitant pas par la plateforme SDI.

Le rapport « Esterometro » est l'obligation fiscale de déclarer les transactions transfrontalières pour lesquelles des factures ont été émises. Il permet aux autorités fiscales d'accéder aux données de TVA des transactions non traitées via SDI.

A la différence du processus de « Clearance », le processus déclaratif est parallèle à la transmission des factures. Ainsi, les fournisseurs peuvent continuer à émettre les factures directement vers leurs clients, soit au format papier, soit électroniquement (en mode EDI, PDF signé ou piste  d'audit) mais doivent également générer un fichier électronique de données de facturation sous la forme d'un rapport à transmettre aux autorités fiscales.

Mesures additionnelles de lutte contre la fraude à la TVA : le Portugal une nouvelle fois pionnier en la matière

Une règlementation récente au Portugal prévoit l'évolution des règles relatives au traitement, à l'archivage et à la dématérialisation des factures et autres documents liés à la TVA.

Un Décret-Loi en date du 15/02/2019 vise notamment à lutter contre la fraude à la TVA en renforçant les contrôles.

Au Portugal, le logiciel générant les données de facturation doit obligatoirement être certifié par l'Administration fiscale Portugaise. Le périmètre de cette certification vient d'être étendu par le Décret-Loi susvisé. Initialement, la certification du logiciel était obligatoire pour toutes les sociétés (ayant un établissement stable au Portugal) ayant réalisé un Chiffre d'Affaires de 100 K€ minimum sur l'année précédente. Depuis le décret, le seuil a été abaissé à 75 K€ (applicable dès 2019) et passera à 50K€ à compter de 2020.

Le Décret-Loi du 15/02/2109 impose également, à compter du 1er janvier 2020, l'apposition sur les factures d'un code de facture unique (Universally Unique Identifier ou"UUID") devant répondre aux exigences posées par l'administration fiscale. Ce code prend la forme d'un QR code lorsque les factures sont imprimées (format papier).

Par ailleurs, les assujettis doivent communiquer à l'administration fiscale les séries de numéros de factures utilisés par chaque établissement avant d'émettre une facture. Les autorités fiscales attribuent en retour à chaque série un code à inclure dans le nouvel UUID obligatoire.

Enfin, le Décret-Loi du 15/02/2019 impose de nouvelles obligations de notification auprès des autorités fiscales. Il requiert la transmission d'informations supplémentaires dont notamment l'Identification et la localisation de l'établissement à partir duquel les factures sont émises, l'identification du matériel utilisé pour traiter les factures, le numéro de logiciel de facturation utilisé pour chaque équipement …

Quelle sera la tendance en France et dans les autres pays de l'Union Européenne au cours des prochaines années ? 

Au vu des communications récentes émanant de Bercy[3], il y a une forte volonté de l'Etat français de prendre les mesures nécessaires afin de lutter contre la fraude à la TVA. Des réflexions sont en cours dans les couloirs du Ministère de l'Economie et des Finances et tout laisse à penser que les mesures seront présentées dans le cadre du prochain projet de loi de finances. Après la tentative de la loi Macron du 6 Aout 2015[4], avortée par l'absence de publication de l'ordonnance, dont l'objectif principal était d'accélérer les délais de paiement en rendant obligatoire le recours à la facture électronique, la lutte contre la fraude à la TVA pourrait justifier le recours obligatoire à la facture électronique.

Quant aux autres pays de l'Union Européenne, il est fort probable que les pays du sud de l'Europe, où les montants de fraude à la TVA sont significatifs, adhérent au processus de « Clearance » ou à minima au dispositif déclaratif des données de facturation.

A l'horizon 2020/2021 une Directive Européenne viendra très certainement clarifier et apporter des lignes directrices en matière de contrôle des déclarations de TVA mais il y a fort à parier que les autorités fiscales nationales n'attendent pas que les instances européennes légifèrent sur ce sujet, la lutte contre la fraude à la TVA étant un enjeu fondamental pour leurs économies.

[3]https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/exclusif-bercy-prepare-un-nouvel-arsenal-contre-la-fraude-a-la-tva-1024862

http://www.lefigaro.fr/conjoncture/bercy-veut-renforcer-la-lutte-contre-la-fraude-a-la-tva-20190529

[4] La loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « loi Macron »


Carine ALLOUL

Compliance Manager

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